Lauréat du prix Salat Baroux 2014 qui lui a été remis par l’Académie nationale de médecine le 27 janvier dernier, le Pr Antonio Pellicer, gynécologue-obstétricien et fondateur de l’Institut d’infertilité de Valence en Espagne (IVI*), a rencontré Neuf Mois lors d’un récent congrès sur la fertilité. Au cœur de son combat, un assouplissement des modalités d’accès à toutes les techniques de procréation médicalement assistée. Interview sans tabou.

Neuf Mois pour les sages-femmes. Quels sont les défis de la procréation médicalement assistée dans les années qui viennent ?

Pr A. Pellicer Tout d’abord réduire toutes les complications de la FIV, dont la principale est la grossesse multiple. Il faut faire de la recherche pour réduire ces risques et notamment sélectionner mieux l’embryon viable. En ce sens, l’Embryoscope (ndlr, un incubateur qui permet d’observer le développement embryonnaire jusqu’à 5 ou 6 jours et de ne pas implanter un embryon qui présenterait des anomalies) en est un exemple. Cela permet de cultiver l’embryon dans un fluide dans lequel il laissera des protéines qui pourront être analysées. Il y a aussi une autre technique, utilisée en Espagne et aux USA, mais que la France n’a pas autorisée encore, c’est la biopsie embryonnaire qui permet de savoir si l’embryon est sain, « normal ».

Pourquoi tant de problèmes de qualité de l’embryon ?

Notre problème, c’est l’âge des mères qui arrivent sur un parcours de procréation médicalement assistée. Après 37 ou 38 ans, les effets délétères de l’âge jouent sur la qualité de l’ovocyte. En ce sens, la possibilité de congeler jeune ses ovocytes est une belle ouverture, mais la France ne l’a pas encore autorisée. On le fait pour les femmes qui souffrent d’un cancer. Nous avons accepté une centaine de demandes depuis 2012 chez IVI : 91% concernaient des raisons sociales. Il faudrait que la congélation pour raisons personnelles ou sociales soit facilitée vers l’âge de 25 ans, mais ce n’est pas à cet âge malheureusement que les femmes y pensent ou en ont les moyens. Après 35 ans, ce n’est pas la vitrification ovocytaire qui sera le meilleur outil, puisque l’ovocyte a vieilli, mais l’Embryoscope, qui permet de faire le tri entre les embryons sains et les autres.

L’évolution des techniques de procréation recule le champ des possibles. Où s’arrêter pour ne pas bousculer l’éthique ?

Il faut vivre avec son temps et l’éthique doit tenir compte des évolutions de la science et de la société. L’âge de la ménopause n’a pas changé, mais l’espérance de vie a reculé. Les femmes font des enfants de plus en plus tard. Les naissances autour de 50 ans sont en augmentation en Angleterre notamment. Il faut que la médecine s’adapte. Si la question de la congélation des ovocytes dans la jeunesse n’est pas réglée, il ne reste que la solution du don d’ovocytes au moment où la femme mature décide d’avoir un enfant. En Espagne, la loi autorise depuis 1988 le don de deux ovocytes dans l’année par femme et seulement six fois dans sa vie. Pour cela, elle touche un dédommagement d’environ 1000 euros pour chaque don. La donneuse est protégée, puisque l’enfant né du don ne peut connaître l’identité de sa génitrice qu’en cas de maladie grave. En France, vous manquez de dons d’ovocytes.

En 2014, nos cliniques IVI en Espagne ont administré à des Françaises 765 traitements pour bénéficier de dons d’ovocytes. La France refuse la rémunération et remet en question l’anonymat du don. C’est pour cela que vous manquez de donneuses. Le don d’ovocytes exige beaucoup de contraintes en termes de temps et de traitements. A hauteur de 1000 euros, le dédommagement n’est pas la motivation mais compense certaines contraintes et donc incite davantage les femmes émues par les problèmes de fertilité d’autres femmes à se proposer en tant que donneuses. Le dédommagement est une chose, l’anonymat une autre. En Angleterre où le don est dédommagé mais où l’anonymat n’existe pas, on constate un manque de dons. Ce qui prouve bien que le dédommagement n’est pas la motivation.

Certes, il y a des dérives comme aux U.S.A., mais il suffit d’encadrer les modalités du don. Un dédommagement de 2000€ maxi par an, limité à quelques années, ne peut pas être taxé de business.

En ouvrant la voie au dédommagement du don, n’ouvre-t-on pas aussi celle de la gestation pour autrui ?

Là encore, il faut se montrer progressiste. Pour les femmes hétérosexuelles nées sans utérus, il existe désormais la possibilité de la greffe d’utérus. En Espagne, nous avons l’autorisation de la pratiquer et l’un de mes collaborateurs a travaillé en Suède avec l’équipe qui a réalisé la première greffe d’utérus. C’est un formidable espoir pour ces femmes. Ensuite, il y a la GPA quand la greffe n’est pas possible.

Personnellement, je suis un défenseur de la GPA pour la femme née sans utérus. Pour l’instant, en Espagne comme en France, ce n’est pas autorisé. Je ne peux pas parler pour la France, mais je pense qu’en Espagne, on y viendra si nous sommes capables de résoudre la question de la marchandisation du corps de la femme.

*Créé en 1990, l’IVI recense aujourd’hui 28 cliniques dans le monde dont 22 en Espagne.

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