Vous parlez contraception à vos patientes, la prescrivez… et là, boum… !, vos patientes risquent de revenir bredouilles de la pharmacie. En cause : un élargissement de la clause de conscience des pharmaciens pour les produits « qui pourraient attenter à la vie ». Il n’en fallait pas plus pour que le collectif« Osez le féminisme ! » monte dans les tours en dénonçant une atteinte aux droits des femmes de recourir à la contraception et à l’avortement. A tort ? Le texte étant à l’étude jusqu’à fin août, le proche avenir nous le dira !

Début 2016, l’Ordre des pharmaciens lançait un sondage pour connaître la position de ses adhérents sur un éventuel élargissement de la clause de conscience. 85% des votants (ndlr, 3400 suffrages vs 150 000 professionnels) se sont prononcés en faveur de cet élargissement. Dont acte. Le texte à l’étude actuellement prévoit que « sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour assurer que celui-­ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ».

C’est le flou de l’expression « susceptible d’attenter à la vie humaine » qui pose problème face à l’usage que pourraient en faire des pharmaciens proches de mouvements anti-IVG ou religieux conservateurs opposés à la contraception. Et aussi– petite négligence ? ­ l’absence de précision sur ce que veut dire « sans délai » et sur la distance maximale ainsi que les moyens mis à disposition par le territoire pour se rendre à l’autre officine (et si elle refuse, elle aussi ?). En milieu rural, ces  » détails  » ont leur importance.

La copie revue en septembre

Pour l’instant, rien n’est joué : le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) va délibérer fin septembre sur cette proposition d’élargissement de la clause de conscience, qui, comme le rappelé Isabelle Adenot, sa présidente, n’a jamais ciblé précisément la contraception ou l’IVG. Sauf que certains pharmaciens aux convictions conservatrices pourraient jouer du flou artistique du texte et estimer qu’un stérilet ou une pilule du lendemain attentent à la vie humaine. D’ailleurs, certaines associations pro-­life (Fondation Jérôme Lejeune, AllianceVita…) ont tout de suite apporté leur soutien à ce projet de texte. Comme quoi, il n’y a pas de fumée sans feu… Cependant, puisqu’on parle de feu, il n’y a pas encore le feu au lac : si le CNOP décidait d’entériner le texte sans le retoucher et en laissant donc place à une interprétation un peu trop élargie de ce qui « porte atteinte à la vie humaine », encore faudrait­-il que ce texte soit validé par le Ministère de la Santé afin d’être intégré au Code de Santé Publique. On n’y est pas encore.

D’autant que Marisol Touraine s’est clairement positionnée contre une remise en question du droit des femmes à recourir à la contraception ou à l’avortement et joue la carte de l’apaisement : «  La ministre ne croit pas que l’Ordre ait jamais eu l’intention de porter une proposition qui remette en cause ces droits fondamentaux des femmes, précise le communiqué du Ministère de la Santé. En tout état de cause, cela supposerait un changement du code de déontologie, ce qui doit être validé par la ministre des Affaires sociales et de la Santé. Celle-­ci ne laisserait jamais place à une telle disposition« . La messe est dite. Néanmoins, le Collectif Osez le féminisme ! monte au créneau jusqu’à demander  » le retrait immédiat  » de ce texte. Et de rappeler que « ce qui porte atteinte à la vie humaine, en 2016, ce sont les IVG clandestines qui tuent 47 000 femmes par an dans le monde ».

Le retour de la culpabilité ?

Un débat à suivre dans un contexte où les sages ­femmes ne sont pas dupes des raisons de l’élargissement de leurs compétences sur l’IVG médicamenteuse : les médecins ne se pressent pas pour prendre leur tour ! Sans aller jusqu’à prétendre que le droit à l’IVG est menacé en France comme il l’a été en Espagne et au Portugal récemment, reste que, pour les femmes en France, le risque de voir resurgir la culpabilisation autour de leur sexualité et de leurs choix de vie n’est jamais très loin. Et ce ne sont pas les propos récents – et controversés – ­du Dr Elisabeth Paganelli (Syngof) sur l’arrêt de travail non justifié pour une IVG médicamenteuse « quand on dispose de jours fériés ou de congés » qui nous feront penser le contraire. Pas vous ?

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