Dans un article publié dans JAMA (avril 2015), des chercheurs ont analysé la possible relation entre diabète sucré gestationnel et troubles autistiques au sein d’une population maternelle et infantile homogène prise en charge dans les établissements médicaux du Kaiser Permanent Southern California (KPSC). Une méta-analyse essentielle, notamment en raison de l’augmentation constante des troubles autistiques. Si le lien entre diabète sucré gestationnel (GDM) et autisme chez l’enfant reste pour l’instant encore au niveau d’hypothèse, les travaux récents donnent des pistes pour un dépistage précoce des troubles autistiques chez l’enfant dont la mère a présenté un diabète gestationnel précoce.

La méthodologie de l’étude

L’étude a duré 14 ans (de janvier 1995 à décembre 2009) et ne concernait pas les enfants nés de mère diabétique de type 1 ni ceux porteurs d’anomalies congénitales. Il s’agit d’une vaste étude longitudinale rétrospective avec suivi des enfants nés entre la 28e et la 44e semaine de gestation. Les données pertinentes ont été extraites des dossiers électroniques de santé du fournisseur de soins KPSC.

Le suivi des enfants a été assuré jusqu’au diagnostic clinique d’ASD, à la dernière adhésion à KPSC, au décès ou jusqu’au 31 décembre 2012. La variable d’exposition primaire était la notion d’un diabète maternel de type 2 (DNI2) pré existant ou de la survenue d’un GDM avant ou après la 26e semaine de gestation. Le critère d’appréciation était la présence ou non, durant la période de suivi de l’enfant, d’un ASD. Ce dernier incluait les troubles autistiques vrais mais aussi le syndrome d’Asperger et les troubles envahissants du développement non spécifiques (PDD-NOS). Ne relevaient pas de ce cadre les troubles désintégratifs et le syndrome de Rett.

De nombreuses covariables ont été analysées : âge maternel, parité, origine ethnique, niveau d’éducation et de ressources, comorbidités, sexe de l’enfant ainsi que la méthode de diagnostic du GDM, les éventuels médicaments anti diabétiques en cours de grossesse, les antécédents d’éclampsie ou de pré-éclampsie, l’âge gestationnel et le poids du bébé à la naissance, l’IMC et la prise de poids de la mère, son tabagisme éventuel…

Les profils de patients suivis

Sur 322 323 enfants nés durant cette période de 253 785 mères dans les hôpitaux du KPSC, 6 496 (2 %) ont été exposés à un DNI2 maternel pré existant et 25 035 (7,8 %) à un GDM dont 7 456 précocement, au maximum à la 26e semaine de grossesse et 17 579 plus tardifs, après la 26e semaine.

Approximativement, 60 % des mères DNI2 étaient sous traitement hypoglycémiant et 23,5 % de celles avec un GDM. Le groupe contrôle comprenait 290 792 (90,2 %) enfants nés de mère non diabétique. Les 322 323 enfants ont été suivis après leur naissance durant une médiane de 5,5 ans (intervalle interquartile, IQR, allant de 2,2 à 8,7 ans). On a dénombré durant cette période 3 388 ADS : 2 963 chez des enfants non exposés aux troubles du métabolisme glucidique, 115 après DNI2 et 310 après GDM. L’incidence moyenne, non ajustée, de survenue d’un ADS infantile est respectivement de 1,77, 3,26 et 2,14/1 000 et /an (p < 0,001).

Les conclusions de l’étude

Comparés à l’absence d’exposition, un DNI2 maternel était associé à un risque (Hazard Ratio [HR]) de 1,59 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 1,29- 1,95). Un GDM, quelle que soit sa date de survenue, amenait à un HR à 1,18 (IC : 1,04-1,33) mais, en analyse stratifiée, apparaît une différence notable selon la date de survenue. En cas de GDM précoce, au plus tard à la 26e semaine, l’HR s’établit à 1,63 (IC : 1,35- 1,97) ; il n’est qu’à 0,94 (IC : 0,76- 1,19) pour les GDM diagnostiqués entre la 26e et la 30 e semaine et à 1,04 (IC : 0,81- 1,32) pour ceux survenus après cette date (soit un HR global à 0,98 pour l’ensemble des GDM dits tardifs).

Parmi les nombreuses covariables analysées, l’âge maternel avancé, un premier né, un haut niveau d’éducation, des ressources faibles, des comorbidités notables, une éclampsie ou pré-éclampsie, un accouchement prématuré et un enfant de sexe masculin ont été associés à un risque élevé d’ADS. A l’inverse ne sont pas paru intervenir ni un éventuel tabagisme maternel, ni le gain pondéral gestationnel, ni le poids du nouveau-né. De façon non indépendante, la prise de médications antidiabétiques durant la grossesse était associée à un risque accru (HR : 1,44 ; IC : 1,16- 1,79). Toutefois, après ajustements, seule la découverte d’un GDM précoce est restée significative avec un HR à 1,42 (IC : 1,15- 1,74). Sur l’ensemble de la cohorte maternelle, on a dénombré chez 26 mères un ASD documenté. Parmi les 3 388 enfants atteints, 121 avaient des cas identiques dans la fratrie ; 79 % d’entre eux avaient un désordre autistique, 18 % un syndrome d’Asperger et 3 % un PDD-NOS.

On a relevé une association très significative entre GDM maternel diagnostiqué avant la 26e semaine et autisme ou syndrome d’Asperger, le faible nombre de PDD-NOS n’autorisant, pour cette dernière pathologie, aucune conclusion.

Significatif en cas de diabète gestationnel précoce

Cette large étude rétrospective révèle qu’un DNI2 chez la femme enceinte n’augmente pas significativement le risque d’ASD dans sa descendance mais que, a contrario, un GDM précoce, à la 26e semaine de gestation, voire plus tôt, est significativement associé à un risque accru chez l’enfant , après ajustement de nombreuses co variables. On peut avancer, dans ce cas, le rôle délétère de l’hyperglycémie maternelle non traitée durant la phase précoce critique du développement cérébral du fœtus. L’absence de liaison avec un DNI2 maternel serait lié au contrôle parfois plus strict des chiffres glycémiques durant la gestation et donc à un effet plus modeste sur le fœtus.

A ce jour toutefois, les mécanismes physiopathologiques possibles restent inconnus : hypoxie fœtale, stress oxydatif dans le sang du cordon ou le placenta, inflammation chronique ou encore modifications épigénétiques… Les conclusions de ce travail doivent être assorties de quelques réserves. Le risque paternel n’a pas été pris en compte ni celui d’autres expositions possibles intra utero. Des erreurs ont pu survenir dans le diagnostic différentiel DNI2 et GDM chez la mère. Surtout, il s’agit d’une étude observationnelle, sans relation possible établie de cause à effet.

Toutefois, ces résultats suggèrent qu’un dépistage précoce de l’ASD infantile chez des femmes ayant déclaré un GDM avant la 26e semaine de gestation pourrait être utile ainsi qu’alors, un dépistage et un contrôle strict de l’hyperglycémie maternelle sans toutefois, à ce jour, pouvoir affirmer que ces mesures seraient à même de réduire la prévalence de l’ADS chez l’enfant.

Sources JIM/Dr Pierre Margent/Xiang A H et coll. Association of Maternal Diabetes with Autism in Offspring. JAMA; 2015; 313 : 1425- 1434.

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